jeudi 9 juillet 2015

Elles souriaient de toutes leurs dents (celles qui leur restaient) : la mémoire des momies toulousaines

Salut, moi c’est Ju, les copains de ThingZ m’ont proposé d’écrire ici, alors je viens vous parler d’un sujet qui m’intéresse, celui des momies toulousaines.
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Les petits Toulousains l’ont tous vue, étendue au milieu des collections d’art de l’Asie orientale du musée Georges-Labit. La momie égyptienne, répondant au doux nom In-Imen-nay.s-Nebout. Une peau noircie et racornie sous des bandelettes couleur sable, et, non loin d’elle, son double sarcophage en bois ; symboles d’un autre temps, d’une autre culture. Cette ancienne jeune thébaine a attiré, repoussé, fasciné, ou – mieux encore – effrayé tous ces bambins par sa simple présence. Son existence, même.


« Eh, regardez, on voit ses orteils !
— Baaaah… »

Pourtant, In-Imen n’est pas la seule momie qu’a connue Toulouse, loin de là. Aujourd’hui disparus, ils ont connu une certaine célébrité sous l’Ancien Régime français (grosso modo, de la Renaissance jusqu’au Siècle des Lumières). Je veux parler des corps secs des caveaux toulousains.

Qu’est-ce à dire que ceci ?!

De quoi, « les corps secs » ? Tout simplement, des corps morts – des cadavres (des dépouilles, des trépassés, des macchabées, des… ok j’arrête) – dont les chairs ont été desséchées par quelque action naturelle ou artificielle. Ne leur restaient alors que la peau et les os. Ainsi, plus de contenu graisseux dans le corps ; la décomposition, si elle n’est pas véritablement annulée, est au moins interrompue pour un certain temps.

Le milieu dans lequel ces momies évoluent joue aussi un grand rôle dans leur conservation (c’est comme les gâteaux secs, ça se garde plus longtemps). On trouvait de ces trucs anciens écrins d’âmes dès l’Égypte antique, avec les « momies des sables » qui refaisaient parfois surface après s’être échappées du tombeau dans lequel on les avait mises. Et bah oui, comment pensiez-vous qu’on ait eu l’idée de conserver des corps en les desséchant ?


La Beauté de Xiaohe, en attente du prince charmant depuis 3800 ans...


Vint ensuite l’utilisation d’une substance appelée baume de Judée, la matière servant à la momification qui, avec éviscération et autres joyeusetés, permit à la belle In-Imen de se retrouver parmi nous. Sans trop m’épancher dans les détails, on a vu des momies également en Amérique du Sud – vous vous souvenez de Rascar Capac et ses Sept boules de cristal ? Voilà, bonne nuit maintenant ! –, dans les tourbières écossaises, en Asie orientale, et dans beaucoup d’autres contrées… pas forcément très « exotiques » : vous avez déjà entendu parler des momies de Palerme, en Italie ?


« Eh regardez, j’fais comme Cléopâtre : ASSEZ ! »

Ça va, Imothep ! Et celles de Toulouse, alors ?

Eh oui, Toulouse, en plus de ses violettes, ses saucisses, son club de rugby et son cassoulet piqué à Castelnaudary, a aussi « fabriqué » ses propres momies. Comment ? En utilisant les vertus de la terre, au fond des cryptes de certains couvents catholiques ; les Cordeliers (la Banque de France de la rue Déville est bâtie sur ses ruines), et les Jacobins (en face du lycée Pierre-de-Fermat).
Dans le premier on inhumait les macchabées à même la terre, chargée en chaux, qui brûlait les chairs et consumait les entrailles. Dans le second on les enfermait dans des cavités scellées, ce qui provoquait un vide d’air. Après un certain temps, les moines exhumaient ces corps pour les hisser sur le clocher et les y attacher. Les vents achevaient la dessiccation – le fait de dessécher – des cadavres, et les débarrassaient des mauvaises odeurs terreuses. Enfin, on les descendait pour les exposer debout, appuyés contre les murs de la crypte de l’édifice.

Avec des lumières pareilles, c’est sûr qu’il se passe quelque chose d’inhabituel à l’intérieur…

Lors de sa visite des Jacobins en 1730, le père Labat y a vu « un bon nombre de corps droits, arrangés les uns auprès des autres secs, legers, & si peu défigurés, que ceux qui les avoient connus vivans les reconnoissoient encore ».

Parce qu’on pouvait les reconnaître ?

Oui ! C’était même parfois la motivation principale des proches du défunt : voir et reconnaître le disparu, même après sa mort. Dans le couvent des Jacobins, c’étaient les frères religieux que l’on enterrait et exposait. Les moines qui visitaient ce caveau étaient tout émus de les voir là, «incorrompus». Aux Cordeliers, en revanche, reposaient les laïcs, dont parmi eux plusieurs notables.

La plus célèbre d’entre eux : « la Belle » Paule de Viguier. François Ier fut le premier à relever sa beauté, lors de son passage à Toulouse en 1533. Ce fut alors la ville entière qui s’enticha d’elle. Après sa mort, les visiteurs des Cordeliers purent encore la contempler. Elle était en bon état, c’est sûr… Mais bon, un cadavre desséché, au sourire tiré par un épiderme roide et aux dents branlantes, ça faisait tout de suite moins sexy.

Henri Rachou, La Belle Paule, 1882, huile sur toile, Salle des Illustres du Capitole, Toulouse.

Mais ça n’est pas touuut !

Quel est le point commun entre La momie, le vieux film des studios Universal des années 1930, et l’improbable déguisement de lambeaux de drap ou de feuilles de papier toilette accrochées ensemble – on espère que vous aurez choisi le blanc – que l’on trouve à chaque Halloween ? La volonté de faire peur, pardi !

Un spectacle pour petits et grands.

Eh bien c’était la même chose ici. Mais en vrai. Dans ces caveaux, on montrait une mort crue et hideuse, réelle, et surtout terriblement proche. On y voyait par exemple un jeune étudiant en droit, mort d’un coup d’épée lors d’un duel (à l’époque on savait s’amuser même en droit). Sa main était encore recroquevillée sur sa blessure, et l’on s’amusa alors à tester la rigidité du bras… jusqu’à ce que celui-ci lui en tombe. Malin. C’était un spectacle macabre d’un grand réalisme que les Toulousains pouvaient découvrir dans ces caveaux. Oui, mais pourquoi ? Pourquoi faire peur, parce que c’est rigolo ? Pour éduquer, pardi !

On s’amusait, on aimait la vie et ses plaisirs bien terrestres et la Belle Paule, tout ça. Et la bonne mort très chrétienne, qui devait mener à la résurrection une fois le Christ redescendu sur Terre, on en faisait quoi ? 
Il fallait bien leur faire peur, aux fidèles, leur rappeler que la mort les atteint tous, et que surtout c’est pas beau ce qu’il advient de leur dépouille terrestre. Du coup, on les faisait descendre dans des cryptes pleines de corps secs décharnés et grimaçants, histoire de leur filer la pétoche. C’est un peu sommaire, mais ça peut être efficace ; à l’époque on n’avait pas de Schwarzie apparaissant à poil dans une boule de lumière pour nous faire comprendre l’imminence du Jugement Dernier !

« Allez, souris ; la mort c’est bien, tu vis après. »

Cette pratique particulière s’inscrit en plein dans l’âge baroque, au XVIIe siècle : jamais la mort – ou ses images – n’a été aussi exubérante. Plongé dans les antichambres de la nuit éternelle, au milieu de l’horreur des restes humains, l’esprit vaincu des pauvres laïcs n’avait d’autre choix que d’accepter le message de l’Église.

C’est dingue ! On peut les voir, aujourd’hui ?

Malheureusement, non. Comme de nombreux corps ou fragments de corps –principalement des reliques de saints –, les momies toulousaines ont été détruites lors de la Révolution. C’est donc tout un patrimoine de la ville qui a disparu, qui reste aujourd’hui méconnu, et c’est pour cela que j’ai voulu vous en parler ici. Heureusement, on en a découvert plus tard à Bordeaux, et à Saint-Bonnet-le-Château. 

Consolez-vous !

« Et on sourit pour la photo souvenir en famille ! Faites gaffe à pas perdre vos dents… »



Merci de m’avoir lu, merci à ThingZ pour leur blog, et hasta la vista tout le monde !

Ju

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